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Petit roman de Van Horne : Saint-Louis Jour 23

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Message par Sébastien Vanier Mer 14 Fév 2024 - 15:01

Elle arrivait chaque matin du côté de la passerelle qui enjambe la rivière et derrière cet odeur humide et ce poids de l’eau attendait Saint-Louis. À chaque aurore il s’installait devant le soleil et se laissait tranquillement réchauffer d’une nuit qu’il cherchait à fuir à chaque fois. Depuis les dernières décennies, les soirées étaient devenues plus animées et les passants étaient de plus en plus nombreux à s’aventurer près du parc, ce qui laissait à Saint-Louis le plaisir de rester dans le parc avant qu’il ne doive irrémédiablement trouver une maison qu’il puisse habiter aux heures sombres des nuits sans pensées à épier. Le vide dont il avait horreur était toujours aux heures entre les couche-tards et les lève-tôt : Il s’agissait du vide de ses propres pensées lorsque l’âge confine à la tenaille de n’avoir aucun refuge où se poser, où les souvenirs vus et revus n’offrent aucun réconfort, laissant irrémédiablement nos plus sombres idées nous interpeller et nous happer vers d’insolubles tourment de moments qu’on ne peut changer et dont on ne voudrait pas vivre et revivre.

Ils sont pourtant là, chaque nuit, prêt à renaître de nouveau et à nous faire revivre la souffrance de notre impuissance. À ces heures sombres, Saint-Louis fait ses appels : Il appelle les moments de ses journées, il puise dans sa collection d’odeur et tente de s’évanouir dans les pensées d’un autre, il est un autre, il se veut autre que ces interminables moments où il butte sur lui-même, où il butte sur cette éternité qui le maintient dans un présent sans avenir et sans passé, où il butte sur les frontières de son territoire où il n’ose plus se rendre : Où irait-il ? Si par mégarde il s’éloignait de sa paroisse, quelqu’un pourrait la lui ravir et il perdrait son havre, il perdrait Rose et ces refuges qu’elle lui offre à chaque matins pour chaque nuits.

Est-ce vraiment qu’il s’intéresse à elle où n’est-il intéressé que par lui ? Que par ces moments nocturnes qui le hante et dont elle se fait l’héroïne ? Depuis combien de temps, non pas que cela lui en déplaise, mais depuis combien de temps n’avait-il trouvé un adversaire digne de lui ? Il était son propre maître et son propre tortionnaire et il arrivait parfois qu’il soit submergé par le désir d’une rencontre qui redonnerait sens à sa vie, une rencontre qui lui fasse de nouveau vivre le baptême du feu, une rencontre qui chasserait la mornitude de la routine de son quotidien. Non pas qu’il n’aima point sa quiétude mais il peinait depuis quelques temps à trouver dans les petits détails une source de contentement. Il passait d’une odeur à l’autre mais revenait toujours à l’attente de Rose, comme si la lavande avait eu sur lui une vertu mystérieuse qui arrivait à calmer le feu de la solitude qui le dévorait.

Il se prenait parfois à imaginer qu’un ennemi apparaisse sur son territoire pour lui ravir le parc en l’empêchant d’y entrer pour lui ravir le seul endroit où il pouvait retrouver sa lavande et se plaisait à se voir dans des scènes d’affrontements où les volontés usaient de tous leurs moyens pour s’assurer d’être la seule présence au parc. Il se voyait perdre un à un les marcheurs du parc ; tout d’abord les odeurs les plus fétides, ces marcheurs dont il ne s’approchait point et il se voyait ne pas y prêter attention, s’imaginant feindre la faiblesse ou l'insouciance de perdre les âmes du parc une à une puis de voir les parfums floraux entrer dans la danse et de se voir s’interposer à cette autre volonté pour la cantonner vers les fétides.

Il se voyait dans les assauts répétés de son ennemi voulant de plus en plus d’âme à habiter et il se faisait héro de défendre son territoire à traquer alors la bête jusque dans les moindres recoins du parc, de le cantonner aux écureuils avant de ne lui laisser le choix que de quitter définitivement le parc au moment où Rose approchait, où il se retournait vainqueur et s’approchait de la belle pour humer l’odeur de sa victoire. Il lui arrivait parfois de penser à La bête et fuyait ces sombres pensées de peur qu’elles ne parviennent jusqu’à Elle.

Dans ses nuits les plus sombres, là où l’odeur de lavande n’avait aucun effet, ses pensées refoulait sur le rebord de cette idée de La bête. Il savait que si elle s’installait sur son territoire, il n’aurait d’autres choix que de lui obéir et qu’elle prendrait une grande joie à souiller les odeurs du parc jusqu’à le mettre à genoux pour lui promettre allégeance. Arriverait-il ce jour où elle serait définitivement vaincu et liée pour les milles années à venir ? Il lui arrivait parfois d’imaginer cet ange portant une grande chaîne et ayant la clef de l'abîme pour enfermer La bête et un espoir naissait dans la misère de son âme. Dans cette misère trônait la question de savoir si le Grand Patron avait encore un plan pour lui ou s’il lui faudrait guerroyer aux côtés de La bête tel lui sied sa condition.

Le Grand Patron semblait l’avoir oublié mais il savait qu’aucune âme n’est épargnée et que le jour du jugement, il aurait à répondre de ses actes. Mais ce jour du jugement tardait à venir au point que Saint-Louis se demandait s’il allait un jour advenir. Cette pensée hantait aussi ses nuits et le renvoyait vers ses propres démons, ces actions plus que discutables dont il appréhendait les conséquences. Quelles conséquences pouvait-il y avoir dans la possession de plusieurs maisons ? Était-ce de la cupidité ? Ne pouvait-il être libre d’habiter plus d’une maison ? Lui dont son âme ne trouvait repos nul part, pouvait-il avoir le loisir de choisir tantôt l’une et tantôt l’autre ? Rester dans la même maison trop longtemps était d’un ennui mortel et bien qu’il ne puisse mourir d’ennui, la lenteur et la pauvreté des maisons qu’il avait rendaient leur habitation difficile après quelques temps. Changer de maison était pour lui la seule solution pour vaincre le gouffre du néant qui le guettait. Ce néant était fait de non-réalisations, il était fait de son potentiel à être qui ne pouvait advenir faute de trouver preneur qui puisse développer l’attirail de ses talents.

Il lui fallait donc changer pour ressentir l’attrait de la nouveauté. Sa maison préféré du moment était Ezekiël, un homme plutôt âgé qui passait ses journées à faire de la lecture. Il vivait dans un petit appartement dont on avait l’accès par un petit escalier étroit qui menait à un deuxième étage dans la vieille ville. L’appartement était bien tenu malgré le nombre élevé de livres qui étaient de part et d’autre de l’appartement. Il y en avait dans le salon, sur la table basse, dans la cuisine et même dans la salle de bain.

L’on pouvait entendre une radio murmurant des airs connus du moment qui embaumait la cuisine de l’odeur de la présence du temps, temps que marquait Ezekiël de sa présence et temps qui marquait Ezekiël de son passage. Ézekiël avait trois fils dont le premier s’appelait Élias qui était enseignant en mathématique. Saint-Louis se faisait un point d’honneur d’être présent lorsque Élias rendait visite à son père. Ils passaient alors d’interminables soirées à discuter de la structure de l’univers et sur les mathématiques comme langage de Dieu pour exprimer le monde. Ezekiël aimait lire des romans mais se passionnait aussi pour la mystique juive.

Cette passion pour la mystique lui était apparu récemment et c’était le cadeau que Saint-Louis lui avait offert, du moins le croyait-il. Cet éveil au mysticisme était en fait un cadeau empoisonné car il était accompagné d’une soif inextinguible de connaissance obscure et confinait l’élève dans une solitude de ne pouvoir partager ce savoir avec un autre. Il avait bien essayé avec Élias de lui faire voir la beauté de la structure mathématique de la fleur de vie mais ce dernier restait sourd aux appels que Dieu envoyait par cette expression.

Avec son deuxième fils, par contre, il trouvait un certain réconfort dans une discussion soutenue depuis quelques années car ce dernier avait vécu sous son toit et avait fait parti de son quotidien. Hubert écoutait son père discourir sur le fait que parler, écrire ou penser était la même action pour Dieu et il lui arrivait de questionner son père sur le sens du monde et s’il était possible de trouver ce sens dans les lectures mystiques. Mais Ezekiël savait que plus il cherchait, plus il s’enfonçait au creux de la connaissance de la mystique, plus il se sentait submergé par le poids de son ignorance et par la démultiplication des questions soulevées par ses lectures.

Il retournait alors vers la littérature pour marquer une pause sur ce questionnement tout en restant vigilant à trouver des réponses parmi ses lectures ou encore pour y trouver des pistes de réflexions avant de retourner irrémédiablement vers la connaissance, vers ce qu’il nommait maintenant la pomme. Cette expression lui avait été soufflé par Saint-Louis et elle était de coutume parmi les immortels. Il n’y avait que la pomme qui puisse soutenir et donner raison à l’être de passer à travers les âges, que la pomme qui puisse rendre le temps sans emprise, que la pomme qui permette de trouver encore et encore une lumière dans le monde, oui, la pomme était la lumière des âmes.

La pomme était aussi le fruit défendu : Saint-Louis le savait et pour avoir plus de pommes, il avait asservi plusieurs âmes afin de s’approprier leur connaissance, de les boire jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’original dans cette maison et qu’il doive lui insuffler la direction à prendre pour continuer à avancer et à approfondir la connaissance. C’était là pour lui où la flamme s’éteignait, où il n’avait plus rien à espérer de cette maison outre l’originalité du point de vue sur la pomme. Il en était maintenant le maître et souvent, il quittait cette maison sur sa faim, délaissant déçu ce qu’il avait cru entrevoir, ce qu’il espérait de maison en maison, ce qu’il espérait depuis nombre d’années, une âme intarissable où il ne serait pas contraint de buter sur lui-même, sur sa propre pomme.

Existait-il aujourd’hui une âme si originale qu’il n’aurait plus à entretenir plusieurs maisons, où il ne chercherait plus une héroïne dans la nuit noire, où il pourrait se reposer dans le silence pour ne rien manquer de ces matins qui égayent d’une vie riche en perspective et où l’amertume de devoir continuer à vivre disparaît sous une passion source de bonheur et de contentement ?

Sébastien Vanier

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Date d'inscription : 03/02/2024

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